Retranscription de l’audience du procès de Marjorie et Ramïn Farhangi du 12.12.23

Le 12 décembre 2023 : Ramin et Marjorie se présentent sans avocat.

Juge: Approchez à la barre. (Confirmation identités et adresse)

Il vous est reproché à tous les 2 d’avoir en Ariège du 31 octobre 2022 au 23 juillet 2023 refusé d’inscrire votre enfant , Zeya, dans un établissement d’enseignement, sans excuse valable, en dépit d’une mise en demeure des services départementaux de l’Education Nationale de l’Ariège, notifiée à personne le 17 octobre 2022.Dans un signalement des services de l’Éducation Nationale du 22 novembre 2022, il était porté à l’attention du procureur de la République que Zeÿa n’était pas scolarisé, qu’une instruction en famille avait été mise en place mais que cette instruction n’avait pas été autorisée par leurs services puisque M. Farhangi et Mme Bautista avaient fait l’objet d’un refus d’instruction dans la famille le 17 sept 2020, le 18 novembre 2021 et au moment où le courrier est envoyé. Leurs services ont reçu un courrier intitulé “déclaration d’entrée en désobéissance civile” où il était indiqué par les 2 parents leur refus d’inscrire leur enfant dans un établissement scolaire et de passer par la procédure qui était prévue pour l’instruction en famille. Les services de l’Éducation Nationale ont envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception, un courrier à la famille le 17 octobre 2022 les mettant en demeure de se conformer à la loi, ce qui n’a pas été fait par la suite.Le procureur de la République a interrogé les services de l’Éducation Nationale en mars 2023 pour savoir si un contrôle de l’instruction en famille avait été fait mais il leur a été répondu que non puisqu’il n'avait pas été passé par la procédure d’autorisation. J’ai oublié d’indiquer par rapport au courrier du 17 oct 2022, il est revenu pré-avisé et non réclamé mais M Farhangi et Mme Bautista ont accusé réception de ce courrier dans un email du 23 nov 2022. Donc les 2 ont été entendus, ils reconnaissent les faits qu’ils leur sont reprochés, en fait, ils ont expliqué la même chose tous les 2, à savoir qu’ils s’opposaient au régime d’autorisation qui avait été substitué au régime de déclaration par rapport à l’instruction en famille et donc ils ne souhaitaient pas prendre part à l’obligation légale et qu’ils restaient sur leur position. Ils indiquaient que pour eux c’était une question de désobéissance civile. On a pas mal de courriers en procédures, qui font état de cette volonté, qui est affirmée à plusieurs reprises, qui est même revendiquée.J’ai volontairement réduit l’explication sur les motifs derrière cette idée de désobéissance civile puisque je rappelle qu’aujourd’hui la décision du Tribunal, c’est une décision pénale, c’est à dire que le Tribunal va se demander si l’infraction reprochée aux prévenus est caractérisée ou non; si c’est le cas, se posera la question d’une peine, si ce n’est pas le cas, il décide d’une relaxe et ça s'arrêtera là. En aucun cas le Tribunal est là pour s’interroger et se positionner sur la légitimité de cette loi comme ce que peuvent expliquer les prévenus dans leur courrier; donc ce ne sera absolument pas le débat aujourd’hui et je veux que l’on reste sur les prérogatives du Tribunal. Les choses qui sont détaillées par les prévenus dans leur courrier, ce sont des choses légitimes qui relèvent à mon sens d’un débat de société, d’un débat politique mais en tous cas, ce n’est pas le rôle du Tribunal de participer aujourd’hui dans le cadre de cette instance à ce débat.

La parole aux prévenus 

J : Mme Bautista est-ce que vous reconnaissez toujours les faits qui vous sont reprochés?

Marjorie: Je les reconnais.

J: Est-ce que depuis l’année 2022, la situation a évolué?

M: Elle est toujours d’actualité.

J: D’accord. M Farhangi est-ce que vous reconnaissez toujours les faits qui vous sont reprochés?

Ramin: Absolument.

J: Donc vous me confirmez que votre fils n’est toujours pas scolarisé

R: Voilà, nous continuons d’assumer son instruction

J: Ou en tous cas, il n’y a pas eu de demande qui a été faite auprès des services de l’académie, dans les normes qui sont attendues, c’est bien ça?

R: C’est bien ça.J: De plus, je rappellerais que le Code de l'Éducation prévoit une obligation scolaire dès l’âge de 3 ans et jusqu’à 16 ans et effectivement il y a un article spécial qui prévoit que cette instruction se fait soit dans un établissement d’enseignement privé ou soit peut se faire en famille mais il y a des conditions qui sont posées par un article précis.J’ai cru comprendre dans vos auditions que vous indiquez que vous resterez sur cette position là, en tous cas que vous ne comptez pas évoluer dans les mois ou dans les années qui viennent, est-ce que vous me le confirmez?

R: Absolument.

M: Je confirme.

J: Donc vous me confirmez qu’il n’y a ni inscription dans un établissement ni demande qui a été faite auprès des services de l’académie de Toulouse, on est d’accord?.

R: Absolument car les demandes d’autorisation de toute façon sont refusées à plus de 90%, systématiquement, contrairement à la promesse qui avait été faite par Emmanuel Macron et tout l’exécutif à plusieurs reprises, que seuls les séparatistes seraient attaqués par cette loi. N’étant pas séparatistes et tous nos camarades et collègues n’étant pas des séparatistes, nous ne voyons pas pourquoi nous devrions jouer à un jeu qui est joué d’avance et où tout le monde est persécuté.J: C’est ce que j’ai indiqué, Mr Farhangi, là on s’éloigne du débat. Est-ce qu’il y a des questions du Tribunal sur les faits?

Juge 2: Bonjour madame, bonjour monsieur, est-ce que vous souhaitez peut-être expliquer la façon dont vous faites l’éducation à votre enfant? Que l’on comprenne un petit peu dans les grandes lignes ce qui vous motive à vous placer dans cette situation

M: Oui, merci de poser la question. Déjà, pour nous c’est important de vous dire que ce choix nous l’avions fait avant la naissance de notre fils . C’est un choix qui est mûrement réfléchi, avec des expériences passées dans l’enseignement. On a un parcours classique, on est diplômé et on a fait plein de choses dans les écoles publiques, privées, hors contrat, sous contrat. Riches de toutes ces expériences, on propose à notre fils un accompagnement particulier qui est plus sur mesure, on respecte son rythme, sa motivation intrinsèque et on le plonge dans un environnement qui selon nous, nous parait plus riche et plus adapté à son épanouissement et à son développement.Concrètement, il y a plein de propositions qui lui sont faites, il a du matériel, des ressources à disposition, il a des personnes ressources comme nous et bien d’autres aussi. Qu’est-ce que je pourrais vous dire de plus? Une journée type si on pourrait en décrire une : il adore les mathématiques, faire de la musique, faire du piano, il y a à la fois beaucoup de recherches par lui-même puis de la transmission par nous voire par d’autres adultes ou d’autres enfants. Il y a beaucoup de sociabilisation dans notre milieu éducatif parce que l’on vit dans un collectif mais au-delà de vivre dans un collectif, les familles en instruction en famille sont en réseau. On sort beaucoup, on n’est pas en famille exclusivement, ça c’est une appellation qui est assez réductrice. On est chez nous, on est dehors, on découvre le vaste monde. On est ensemble et on apprend par ce qu’on pourrait appeler dans le système classique, pédagogie de projet, pédagogie où l’enfant est acteur de ses apprentissages, où il est plongé dans une situation concrète et réelle pour que les apprentissages soient durables et profonds.

R: Et j’aimerais ajouter qu’il y a un cliché qui passe sur nous qui est celui d’être des personnes qui serions contre l’école et contre le système dans son ensemble, ce n’est absolument pas le cas. La preuve en est, j’ai apporté des courriers qui en attestent, nous proposons l’école à notre fils, qui fait partie de notre système pédagogique comme une option parmi d’autres. On se pose régulièrement avec lui pour réfléchir à toutes les alternatives possibles dans lesquelles on inclut l’école publique du village du Fossat. A un moment donné il était même d’accord pour essayer parce qu’on l’y a un peu encouragé aussi, pour que cela fasse partie de ses expériences. Et vu la vie ultra-riche que vient de décrire Marjorie, qu’il avait déjà, il voulait bien essayer une journée par semaine. Donc on a fait une demande de scolarisation à temps partiel à l’école publique du Fossat qui nous a été refusée par l’inspection académique parce que ce ne serait pas réglementaire. En tout cas, cette histoire démontre que dans l’absolu, on n’a absolument rien contre l’école, on a envie de coopérer avec l’école et qu’elle fasse partie du paysage éducatif. On a juste envie que la pluralité des possibilités puisse vivre ici et que cette liberté fondamentale d’instruire qui existe depuis Blaise Pascal, Marie Curie, Pierre Curie, Marguerite Yourcenar, Johnny Hallyday et Jean d’Ormesson qui n’ont jamais mis les pieds à l’école, puisse continuer d’exister dans ce pays. Je pense qu’on est en train de rendre un service utile à la société en venant défendre ici la possibilité que Zeÿa puisse continuer à vivre sa vie sans qu’on soit embêtés.

Juge 2: Vous êtes sûrs que vous n’auriez pas eu l’autorisation, c’est ça votre discours ?

M: Nous avons rencontré le DASEN, donc le directeur académique de Foix, et il nous a bien stipulé que sur dossier il ne pourrait pas juger. En nous voyant, il nous a dit, en tant que co-parents, là je vous dirais oui à votre demande d’autorisation parce que je vous vois et on a discuté, je vois que vous êtes aptes à instruire votre enfant, mais sur un simple dossier, je ne pourrais pas le voir donc je mettrai un non systématiquement. C’est la réponse qu’on a eu du directeur académique, donc à partir de là on s’est dit que c’est juste un jeu où il y a une chance sur deux qu’on l’ait et une chance sur deux qu’on ne l’ait pas. Et de toute manière toutes les demandes, les nouvelles demandes sur l’académie de Toulouse sont refusées, parce que comme nous a dit le directeur académique : je souhaite que tous les enfants aillent à l’école, point.

R: Et nous avons tenté de rencontrer le recteur à de multiples reprises en tant que les associations “Enfance Libre”, “Nonscollectif” et bien d’autres, il y a une association dans chaque département, et cela nous a été systématiquement refusé, il n’y a aucune possibilité de négociation avec l'exécutif. Nous sommes ignorés, il y a de l’indifférence, il y a le mépris le plus total. Et ce que je rajouterais, c’est que même si l’autorisation nous serait accordée, par solidarité avec les 90% de camarades qui se voient injustement refuser leurs demandes d’autorisation, pour moi il est hors de question à un quelconque moment dans l’histoire de mon existence que je demande l’autorisation à l’Etat de faire quelque-chose de si naturel, un droit qui m’a toujours été accordé depuis la nuit des temps qui est d’assurer moi-même l’éducation et l’instruction de mon fils. C’est hors de question.

J: D’accord, Monsieur le Procureur des questions ?

Procureur: Pourquoi ne pas avoir privilégié l’enseignement à distance ? Le CNED, vous avez dû en entendre parler, est-ce qu’à un moment donné vous avez envisagé cette hypothèse ?

M: Le choix pédagogique que nous faisons pour notre enfant n’est pas le transfert de l’école à la maison et les programmes systématiques qui sont proposés par l’Éducation Nationale. C’est une pédagogie qui est assez différente, on suit plus le rythme de l’enfant, on n’est pas en train d’appliquer le programme du socle commun âge par âge, donc en fait la solution du CNED ne nous convient pas, cela ne correspond pas à notre choix pédagogique qui est plus complexe et qui permet quelque chose de beaucoup plus à l’écoute des intelligences et des méthodes d’apprentissages de notre enfant. J’étais moi-même enseignante dans l’Éducation Nationale et si j’ai choisi l’instruction en famille, ce n’est pas pour reproduire à la maison la même chose que l’Éducation Nationale, c’est pour proposer quelque-chose que j’estime être beaucoup plus optimal, qui permet beaucoup plus d’apprentissages et de développer davantage le potentiel de notre enfant.

P: Merci madame. Une autre question madame la Présidente. Monsieur Farhangi vous avez évoqué des chiffres, c’est assez curieux parce qu'on n'a absolument pas les mêmes. D’accord, moi j’ai eu les chiffres de l’Éducation Nationale, donc en 2023, 266 demandes ont été traitées en Ariège, 231 ont fait l’objet d’une acceptation.

R: Exactement parce que vous incluez dans ce paquet, et c’est à chaque fois ce qu’il nous est communiqué, ceux qui sont de plein droit et de droit commun. C’est là que l’on rentre un peu dans la complexité de cette affaire qui est que l'exécutif, habiles qu’ils sont, ont prévu d’appliquer l’annihilation de l’instruction en famille en 2 phases. D’abord, ils l’ont appliquée à toutes les nouvelles demandes de l’instruction en famille, ça veut dire des personnes qui n’ont jamais été inspectées et qui n’ont jamais obtenu un rapport favorable de l’inspection académique donc il y a un sursis de 2 ans pour toutes ces familles là et donc, vraisemblablement, à la rentrée prochaine vous serez débordés de familles résistantes comme nous parce qu’il y aura tout à coup 80% des historiques en fait qui vont arriver dans cette réunion. Ne sont donc impactées pour l’instant que les personnes qui n’ont jamais reçu de rapport favorable de l'inspection académique et l’Éducation Nationale, pour masquer la situation finalement, communique des chiffres globaux qui ne veulent absolument rien dire parce que lorsqu’on regarde, parmi les nouvelles demandes, celles qui correspondent au motif 4, donc celles qui ne correspondent pas à un enfant qui est forcé de toute façon de rester à la maison pour des raisons qui l’empêchent concrètement de se rendre à l’école. Les 90 % que nous évoquons nous, ce sont des statistiques qu’on a élaborées avec les associations qui recueillent toutes les données du terrain et qui sont arrivées à la conclusion que pour toutes les nouvelles demandes correspondant au motif 4, c’est à dire par volonté propre de la famille et des enfants, qui se concertent ensemble et qui disent : nous choisissons cette année de faire l’instruction en famille. Au niveau du rectorat de Toulouse et c’est systématique dans tous les départements, plus de 90% des demandes ont été refusées. Ce sont ceux-là les chiffres.

J: Bien. Sur votre personnalité donc Mme Bautista votre casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation, qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

M: J’ai plusieurs casquettes, je suis éducatrice et formatrice, j’accompagne des familles dans l’éducation et je suis aussi accompagnatrice en thérapie pour des personnes.

J: D’accord. Toutes vos activités cumulées, ça vous procure combien de revenus à peu près par mois ?

M: C’est complexe à définir parce que certaines activités sont du bénévolat dans le collectif qu’on a créé dans l’éco-village de Pourgues en Ariège et sinon l’autre activité, c’est un petit revenu, (500 euros par mois).

J: C’est quoi, c’est la partie accompagnement thérapeutique ?

M: Voilà

J: D’accord. Et Mr Farhangi votre casier judiciaire ne porte trace également d’aucune condamnation, même question, qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

R: je travaille pour la coopérative Oasis en tant qu’accompagnant et formateur

J: D’accord. C’est quoi comme activité exactement, quel est votre rôle exactement ?

R: C’est comme une activité de conseil et d'accompagnement pour des organisations, des collectifs, des entreprises pour la dimension humaine et la dimension managériale.

J: D’accord. Donc là c’est une activité ou c’est à titre bénévole ?

R: Là je suis salarié à mi-temps et j’ai des revenus nets d’un peu plus de (1000 euros par mois)

J: donc vous êtes salarié de la coopérative à mi-temps. Vous percevez des aides en plus ou des allocations familiales ou autres revenus ?

R: Aucune, ni APL ni rien, on n’est pas éligible du fait que j’ai des revenus fonciers en plus de l’ordre de 2000€ par mois net de toutes charges. Donc à 3500€, on estime ne pas avoir besoin du tout de revenus supplémentaires.

Réquisitions du procureur

**P:**Les personnes qui comparaissent aujourd’hui devant vous ne sont pas les seules à revendiquer l’inapplication du nouveau texte issu de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Vous les avez interrogés sur le fait de savoir si ils reconnaissaient les faits, ils ont répondu oui, je dirais même qu’ils les revendiquent et ce depuis déjà bien longtemps. En tous les cas, je suis étonné de ne pas les voir aujourd’hui assistés d’un avocat parce qu’il m’a semblé que tel était bien leur souhait. C’est la raison pour laquelle aussi je vais essayer de faire preuve de pédagogie, nous parlions d’école, et d’utiliser des formules relativement simples qui pourra être compris d’eux-même puisque ils ne sont pas assistés aujourd’hui d’un avocat.Dans le procès verbal d’audition de ces deux personnes, ils ont la même réponse : je reconnais cette infraction qui m’est reprochée, il s’agit d’un acte de désobéissance civile pour faire valoir le droit séculaire de dispenser l’instruction en famille. Donc forcément quand on voit ce type de déclaration, on fait des recherches. Et effectivement de tout temps ce droit a été consacré et ensuite il y a été porté un petit peu atteinte avec la loi de 1882 de Jules Ferry. Pourquoi ? Parce que l’instruction est devenue obligatoire mais le choix du mode d’instruction est toujours demeuré une liberté qui est aujourd’hui inscrite dans le Code de l’Éducation, article 131-2 du Code de l’Éducation :  L'instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements scolaires publics ou privés soit dans les familles par les parents, par l'un d'entre eux ou par toute personne de leur choix . Donc il y a bien une inscription qui est obligatoire depuis cette loi mais la liberté est accordée éventuellement aux parents de choisir le mode d’instruction de leur enfant. Pour autant, cette loi limite aussi cet exercice et quand ils vous parlent de droit séculaire de dispenser l’instruction en famille, eux ils se rapportent surtout à l’article 26-3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui indique que les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. Or, peut-être l’ignorent-ils mais la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, sauf erreur de ma part, n’a pas de portée normative dans notre système juridique mais il est vrai qu’elle existe. En tous les cas, moi, ce que je retiens, c’est que la dernière loi a effectivement modifié le régime juridique concernant l'instruction à domicile puisqu’on est passé d’un régime déclaratif à un régime qui doit être soumis à autorisation et vous avez 4 cas qui sont répertoriés, Mr Farhangi vient d’y faire allusion pour expliquer les chiffres que je lui communiquais en lui disant que l’essentiel des refus d’autorisation émanant des services de l’Éducation Nationale concerne les parents qui invoquent le motif 4. Les autres motifs, il me semble me souvenir qu’il y a notamment le sport de haut-niveau, l’handicap d’un enfant, enfin voilà, ce sont des séries de circonstances qui sont bel et bien sériées par le législateur. Or ils ne répondent pas à l’un de ces 4 critères et en tous les cas et ils vous l’ont à nouveau indiqué, ils n’ont pas fait de demande d’autorisation, c’est-à-dire que l’Éducation Nationale n’a pas été en possibilité d’évaluer leurs compétences pour prodiguer les enseignements à leurs enfants, puisque je pense qu’ici tout le monde sera d’accord pour dire qu’on ne s’improvise pas enseignant, notamment lorsqu’il s’agit d’inculquer un savoir aux enfants. Là en l’occurrence, je pense au regard de leur parcours que peut-être qu’ils disposent justement de ces connaissances suffisantes et je ne comprends pas la raison pour laquelle ils refusent de se plier à la loi. Cette loi, elle peut être contestée par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, ce qui n’a jamais été le cas à ma connaissance pour le moment. Mais, en l'occurrence vous devez, vous, regarder ce dont vous êtes saisi, déterminer si oui ou non ils ont commis les faits qui leur sont reprochés. Et en l'occurrence, ils ont bien fait l’objet d’une mise en demeure de la part des services de l’Éducation Nationale et ils n’ont absolument pas décidé de s’inscrire dans le processus qui est prévu par la loi pour dispenser des enseignements à leurs enfants dans une structure familiale ou autre mais en tous les cas en dehors de l’école de la République. C’est là, à mon avis, où justement  ils entrent dans une forme de séparatisme, ils ne font pas confiance à l’école. C’est un peu ce qui ressort de leurs propos. Madame ayant indiqué qu' elle-même avait fait partie de l’Éducation Nationale donc pas de confiance, de la méfiance voire de l’hostilité. Dès lors, ils entrent bien dans la définition du texte qui aujourd’hui les conduit devant votre juridiction. Donc leurs enfants doivent être soumis comme les autres aux règles de la République et ils ont commis l’infraction dont vous êtes saisis et ils en admettent, ils le reconnaissent encore aujourd’hui à la barre de ce tribunal, l’entière responsabilité. Non seulement ils la reconnaissent mais ils la revendiquent. Ils invoquent la désobéissance civile. C’est un argument en vogue qui est invoqué de plus en plus souvent lorsqu’on se met justement dans une situation qui nous contraint de ne pas respecter la loi. Donc nous sommes dans une situation d’illégalité, on va invoquer la désobéissance civile. Là aussi j’ai fait un certain nombre de recherches. Qu’est-ce que la désobéissance civile ? Elle a été invoquée à ses débuts par des militants d’actions écologiques et elle a été définie par un sociologue comme l’action qui transgresse de façon publique et délibérée une norme juridique pour la défense d’intérêts essentiels dans une société démocratique en vue d’exprimer un désaccord sur des politiques publiques et d’inciter à une évolution de ces dernières. Concernant l’évolution de ces dernières, il faudra peut-être par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité déterminer si oui ou non cette nouvelle loi est conforme à la fois aux normes constitutionnelles mais aux principes reconnus fondamentaux par les lois de la République. En tous les cas vous avez donc une règle qui est fixée par une loi et une loi peut très bien justement en limiter le champ d’application et ça je pense qu’il faut qu’ils le comprennent. Et la désobéissance civile, il faut aussi qu’ils le sachent, n’est pas une notion à proprement juridique mais peut-être aussi une notion qui est relativement galvaudée mais surtout chaque fois que cet argument a été soumis à la cour de cassation, la cour de cassation ne l’a jamais utilisé et n’a jamais à ma connaissance, mais encore une fois peut-être que je commets une erreur, été retenu pour justifier la commission d’une infraction. Souvent au titre de la désobéissance civile on a trouvé l’état de nécessité qui n’a pas été retenu mais là en l'occurrence je ne vois pas en quoi l’état de nécessité, qui est une cause d'exonération de responsabilité, pourrait être retenu au regard des éléments dont on dispose. Donc je ne pense pas qu’ils puissent se retrancher derrière cet argument de la désobéissance civile sans donner plus d’explications pour justifier leur action. C’est la raison pour laquelle, au regard de l’ensemble de ces explications, je demanderais au tribunal, conformément au texte qui fonde la prévention, de déclarer les deux prévenus coupables des faits qui leur sont reprochés. Ce sont des personnes qui sont inconnues des services de justice, ce sont des personnes qui sont intégrées dans la société mais avec des idées qui leur sont propres, mais encore une fois ce ne sont pas des personnes qui sont coutumières de faits répréhensifs, ce ne sont pas des personnes qui comparaissent tous les ans devant votre juridiction, ce sont des personnes qui ont des convictions mais ces convictions les convient aujourd’hui devant votre juridiction. Ils se sont expliqués sur leurs motivations et les raisons qui les ont conduits à passer à l’action et à enfreindre la loi mais ces arguments à mon avis sont inopérants en l’espèce. En répression de tels agissements, je vous demanderais de les condamner à une peine de 500 euros d’amende intégralement assortie du sursis, ils y sont parfaitement accessibles dès lors qu’aucune condamnation ne figure sur leur casier judiciaire et encore une fois j’espère que cette audience aura une vertu pédagogique et je ne peux que les inciter afin de se conformer à la loi désormais à déposer un dossier, nous verrons bien si oui ou non leurs arguments sont entendus et si on leur permet d’instruire leurs enfants donc dans le cadre de l’instruction en famille.

La défense

J: Merci Mr le procureur. Mme Bautista, Mr Farhangi, approchez, venez à la barre. Mme Bautista, qu’est-ce que vous avez à dire pour votre défense ?

M: J’ai envie de commencer par rappeler que cette démarche de désobéissance civile, c’est une démarche de dernier recours et qu’avant d’en arriver là on a utilisé beaucoup, beaucoup de voies légales. On a rencontré l'exécutif, le législateur, on a négocié, communiqué, on a apporté plein de preuves du terrain, même des services du rectorat pour montrer que cette nouvelle loi était injustifiée et qu’elle était même délétère pour le terrain, pour nous les éducateurs qui travaillons avec les enfants. On n’a pas été entendu, juste du silence, du mensonge, du mépris et de l’ignorance du sujet. Les personnes, les députés ne connaissaient pas très bien le sujet dont on parlait. Donc voilà, la désobéissance civile, ce n’est pas quelque-chose d’à la mode, pour nous c’est le dernier recours, après avoir pendant 2 années, avec plein d’associations, travaillé et œuvré pour être dans la coopération et la communication, et on n’a pas reçu ça en retour.

J’entends que Mr le procureur parle de méfiance. On aurait de la méfiance envers l’école et que c’est pour cette raison que nous avons choisi l’instruction en famille. Nous l’avons déjà dit et je le répète nous ne sommes pas contre l’école. Ce n’est pas parce que j’ai été dans le système que je me méfie de l’école. Je la connais bien, l’école privée aussi et j’ai juste envie d’autre chose pour mon enfant. J’ai envie de quelque chose de différent, que j’estime être mieux mais ça ne veut pas dire que je me méfie du système classique. Je n’en suis pas forcément satisfaite à 100% et donc je propose autre chose mais comme n’importe quelle personne aurait envie d’inscrire son enfant dans une école privée, sous contrat et hors contrat, parce qu’il a envie d’autre chose, cela ne veut pas dire qu’il se méfie de l’école de la République. Cela veut dire qu’il y a une liberté de choisir quelque chose qu’on estime être mieux pour notre enfant, comme par exemple de plus petits effectifs, plus de moyens en classe, des pédagogies alternatives qui ont fait leurs preuves en France et ailleurs, en Finlande et dans d’autres pays. C’est ça que nous avons envie pour notre enfant et j’estime avoir le droit de le proposer et de le faire. On a eu ce droit pendant des années et la loi vient de changer. Je laisse la parole à mon mari pour expliquer en quoi on estime que cette loi a changé d’une manière qu’on veut dénoncer en fait.

J: Alors rapidement puisque même si vous avez la parole en dernier, je vous ai dit, le tribunal n’est pas législateur donc sur si cette loi a bien fait de changer ou pas, à mon sens, ça ne concerne pas le débat aujourd’hui. Mr Farhangi on vous écoute.

R: Nous avons très bien compris ça, mais comme les écologistes, les faucheurs d’OGM, etc la démarche du procès est quand même une démarche qui, dans la réalité, vient donner un signal fort avec la presse etc , le public qui est présent... et qui vient agir quand même de manière systémique sur l’ensemble du dispositif légal. Et ça a toujours été comme ça historiquement. Mr le procureur a bien rappelé l’histoire de la désobéissance civile qui a toujours eu un impact. Le droit à l’avortement a été obtenu d’une part grâce à Simone Veil et d’autre part grâce aux “343 salopes” qui ont manifesté, c’est un effort coopératif.En tout cas merci Mr le procureur, c’est vrai que j’apprends beaucoup de choses aujourd’hui, la première c’est que je m’attendais vraiment à une justice expéditive et franchement je me sens en gratitude et assez honoré du fait qu’on soit en train de prendre tout ce temps pour nous écouter, je ne vous cache pas que ça contribue à sentir qu’il y a déjà une forme de justice par rapport à tout ce qu’on est en train de vivre. C’est la première fois qu' on se sent autant écoutés.Donc merci pour ça. Ma compagne l’a bien rappelé, aucunement contre l’école, absolument pas. Dans cette histoire-là, c’est vraiment le gouvernement qui est contre nous, il ne faut pas renverser comme ça l’histoire. Nous, nous ne sommes pas contre l’école, c’est le gouvernement qui veut entretenir une norme scolaire pour que tout le monde apprenne d’une manière unique et que tout le monde se conforme à une certaine norme, donc bienvenu au 19eme siècle, et nous, nous sommes là au service du pluralisme, de la coopération, de la liberté pour une société moderne du 21eme siècle, donc merci de ne pas renverser comme ça les choses. Et comme je l’ai dit tout à l’heure, l’école publique et l’école publique du village du Fossat fait partie de l'écosystème d’apprentissages possibles et on était même prêts à essayer une journée par semaine, voire plus, plus tard, si il appréciait l’expérience, qu’il avait envie de continuer et qu’il était apprenant pour lui et bénéfique à son épanouissement et son éducation. On est vraiment dans l’ouverture à toute la diversité. Ensuite, j’aimerais préciser, par rapport à cette histoire de désobéissance civile, pourquoi elle se justifie. Ce n’est pas du tout un effet de mode et c’est le seul procédé qui, à mon sens, aujourd’hui est valable, c’est parce que, là on se concentre sur la loi elle-même et ce qu’elle dit mais dans quel état d’esprit et dans quel contexte est-ce que cette loi a été amenée ? Elle a été amenée avec un discours qui était extrêmement clair de la part de l'exécutif : c’est pour arrêter les islamistes radicaux et les séparatistes…

J: Là sur ça Mr Farhangi je vous coupe parce que l’esprit de la loi encore une fois et pourquoi ça a été amené, c’est pas le problème du tribunal…

R: Mais le problème du tribunal Mr le procureur vient de vous parler du fait de : ils font de la désobéissance civile parce que c’est à la mode, …mais pas du tout…

J: Oui mais là vous repartez, c’est pour ça que j’ai pris soin de préciser en début d’audience, c’est que encore une fois pourquoi est-ce que cette loi a été votée et dans quel sens, le tribunal n’a pas de prise sur ça, le tribunal n’est pas le législateur, il applique les lois qui ont été adoptées conformément à la constitution, voilà, c’est tout

R: Je comprends très bien … j’ai bien entendu, j’essaye d’expliquer pourquoi on n’a pas fait la demande d’autorisation et pourquoi on a parlé de désobéissance civile

J: Voilà, vous l’avez dit, on a pris le temps de vous écouter et vous n’êtes pas le seul dossier de l’après-midi, donc je vais vous demander d'accélérer puisque chaque prévenu mérite qu’on les écoute autant qu’on vous a écouté vous.

R: J’y suis presque, il me reste 2 arguments. Le premier c’est que historiquement 98% des parents qui pratiquent l'instruction en famille, ce sont les rapports de la direction générale de l’enseignement scolaire, ont pu continuer. Cela veut dire qu’il n’y a qu’un infime 2% des parents instructeurs qui sont considérés comme incompétents historiquement, donc nous effectivement il y a très peu de chances que l’on eût été considéré comme incompétents à instruire Zeÿa, ça aurait été vraiment le comble. On fait plutôt partie des profils on va dire de l’élite en la matière. Et donc on n’avait aucunement peur de pas être considérés comme compétents, c’est même pas le sujet. Le sujet c’est que ce 98% est en train d’être réduit à peau de chagrin, il y a un mouvement d'annihilation qui est en train de se produire qui est très fort. Du coup il ne faut pas s’étonner qu'il y ait un contre-mouvement de résistance par rapport à ça, d’où la désobéissance civile que encore une fois j’essaye de justifier ainsi. Le fait d’être assimilés à des séparatistes, qui est quand même quelque chose d’assez puissant et fort, qui donne un premier élan de résistance et en plus ce mouvement où on passe de 70000 puis à 50000 puis… Cette tentative d’annihilation de notre petite population inoffensive, une minorité persécutée pour rien. Et donc les 98% à retenir. Et la dernière chose que j’aimerais nommer comme comparaison internationale : en Allemagne, l'instruction en famille est interdite depuis 1936, depuis que Hitler a voulu que tous les enfants d’Allemagne suivent un même programme. Et bien-sûr, comme dans tout pays, il y a un élan de beaucoup de familles de faire l’école à la maison, le home-schooling, l’instruction en famille, on peut l’appeler comme on veut et donc ils l’ont beaucoup fait clandestinement. Donc c’est ça le principal mouvement, ce n’est pas un mouvement de résistance civile comme le nôtre qui en train d’être en France, c’est plutôt de la résistance cachée, clandestine. Quand ils se font attraper, (environ un millier l’ont été), et bien la justice n’a pas pu faire beaucoup plus que ce que Mr le procureur propose qui est de mettre une amende symbolique de 200 euros chaque année, parce que franchement on ne voit pas ce qu’on peut faire contre des parents qui viennent ici en toute transparence assumer, déclarer leur responsabilité parentale et dire : faites nous confiance nous faisons ce qu’il y a faire pour l’intérêt supérieur de notre enfant, c’est tout ce à quoi nous tenons. C’était à titre d’illustration, je vois que nous sommes ici en train de débattre avec cette situation, mais j’ai l’impression qu’il ne va pas se passer grand-chose d’autre. J’aimerais faire aussi un peu de pédagogie par rapport à cette peine qui est proposée et franchement elle n’aura absolument aucun caractère dissuasif ni pour nous ni pour aucun de nos camarades. Nous, on est tout à fait prêts à venir année après année et continuer à défendre cette cause et franchement moi, même si il y avait les 6 mois de prison et les 7500 euros d’amende, j’aurais avec grande fierté continué à défendre la cause et aller en prison pour la cause. C’est là où je pense que vous voyez, dans mon coeur, je suis sincèrement en désobéissance civile.

Délibération

J: Par décision contradictoire, Mme Bautista vous êtes déclarée coupable des faits qui vous étaient reprochés. Vous êtes condamnée à une peine de 500 euros d'amende avec sursis et Mr Farhangi, même chose, vous êtes déclaré coupable des faits qui vous étaient reprochés, vous êtes condamné à 500 euros d'amende avec sursis

Vous n’avez pas à payer les 500€ aujourd’hui. Si dans les 5 ans qui suivent vous ne recommettez pas de nouveaux faits, vous n’aurez pas à les payer, par contre s’il doit y avoir de nouveaux faits, le sursis pourra être révoqué dans ce cas là, on vous demanderait de payer l’amende. Vous avez bien-sûr 10 jours pour faire appel si vous le souhaitez et vous êtes également soumis à 127€ euros de frais de procédure, si vous les versez dans un délai d’un mois, vous avez 20% d'abattement.